Wellfleet
Wellfleet est probablement le meilleur endroit au monde où l’on pouvait arriver pour réparer notre moteur. Au départ, on ne savait pas trop ce qu’on allait y trouver. Est-ce qu’on allait nous assigner un quai de pêcheur, inadapté pour notre voilier? Nous étions aussi tombés tellement souvent sur des marinas au beau milieu de nulle part, loin de tout. Déjà, un rapide coup d’œil à la carte sur nos téléphones nous avait permis de constater qu’il y avait une plage juste à côté de la marina, un parc à quelques minutes à pied et une épicerie un peu plus loin. C’était un bon départ. On avait trouvé un quai, il restait à trouver comment on allait réparer notre moteur.
Dès notre arrivée dans le port, ne sachant pas trop où l’on devait se diriger, quelqu’un de la marina est descendu à notre quai en nous faisant de grands signes pour nous indiquer où passer et nous aider à nous amarrer. Quelques minutes plus tard, Stuart, le maître du port (Harbour Master), est venu nous souhaiter la bienvenue et nous demander si nous avions besoin de quoi que ce soit. Daniel lui explique notre situation, qu’on cherche une grue pour faire sortir l’ancien moteur et installer le nouveau. En 10 minutes, on nous avait référé une personne qui avait une grue et on nous avait proposé de nous remorquer au quai municipal pour effectuer l’opération. Wow! Tu parles d’un accueil! Nous avons ensuite rapidement fait la connaissance de Jeff et de Mike, qui travaillent aussi tous deux à la marina et qui se sont avérés aussi accueillants et serviables l’un que l’autre.
Pendant que Daniel organisait la réparation du moteur, j’ai commencé à explorer les environs avec les enfants. Le moteur se trouvant en-dessous de notre table, en plein milieu du bateau, on ne pouvait pas rester à l’intérieur pendant qu’il travaillait. Après une semaine à l’ancre à Provincetown, où l'on descendait à terre une fois par jour, les gars étaient ravis de pouvoir circuler librement entre le bateau et le quai. En quelques jours, nous avons pris nos marques, et c’est une très jolie petite ville que nous avons découvert. Il y avait plusieurs tables et des chaises devant la marina et je m’installais souvent là avec mon ordinateur pour travailler pendant qu’Ulysse et Achille passaient des heures à attraper des ménés et des crabes avec leur épuisette. Plusieurs marcheurs sur la promenade au bord de l’eau s’arrêtaient pour entamer la conversation, posait des questions sur notre bateau, d’où on venait, où on allait, etc. D’un jour à l’autre, on croisait souvent les mêmes personnes, qui prenaient des nouvelles et demandaient où on était rendus avec notre moteur. Les gens nous disaient souvent que nos enfants étaient « charming ». Pour ceux qui connaissent bien Ulysse et Achille, charmants n’est peut-être pas le premier qualificatif qu’on leur donnerait… bruyants serait probablement plus spontané… Mais c’est vrai que c’était beau de les voir passer une grande partie de leurs journées dehors à la recherche de petites bestioles, curieux de tout et avides de découvertes. Nous avons eu la chance d’apercevoir d’énormes poissons-lunes et d’assister à plusieurs sauvetages par une association locale, qui les ramenait en haute-mer lorsque les poissons restaient coincés dans la baie à marée basse.
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Notre histoire de moteur a rapidement fait le tour de la ville, on a même eu un article dans le journal local! |
Je ne vous raconterai pas tous les détails techniques du changement de moteur, ce n’est pas mon domaine et ce serait de toute façon beaucoup trop long. Ce qu’il faut toutefois savoir, c’est que c’est beaucoup plus complexe qu’il n’y parait de remplacer un vieux moteur de 45 ans. Juste pour planifier le premier grutage, Daniel a passé plusieurs jours à imaginer comment on allait s’y prendre pour sortir le moteur, car il ne passait pas par l’écoutille du carré. Il fallait donc faire en deux temps : soulever le moteur à partir de l’écoutille, glisser des 2x4 en dessous et redéposer le moteur dessus. On détache la grue, puis on glisse le moteur jusqu’à l’escalier qui mène au cockpit (c’est lourd 800 livres!) On rattache la grue à cet endroit, on guide le moteur pour le faire sortir du bateau sans cogner partout, puis on le dépose dans la boîte du pick-up loué pour l’occasion. En 30 minutes, tout était terminé. Lyle, l’opérateur de la grue, était très impressionné par la minutie de Daniel, qui avait tout bien organisé.
Sachant que Daniel partait quelques jours en Virginie pour échanger l’ancien moteur avec le nouveau, Jeff est venu avec sa femme Louise pour m’inviter à souper avec les enfants pendant son absence. Les deux parlent un peu français et se font un plaisir de se pratiquer avec nous. Après avoir terminé sa journée de travail à la marina, Jeff nous a amené faire un tour de voiture pour visiter les environs de Wellfleet. De retour dans leur jolie maison blanche à l’architecture typique de la Nouvelle-Angleterre, nous avons pu déguster un savoureux « shephard pie », au grand bonheur des enfants qui trouvent qu’on ne mange pas assez souvent de pâté chinois sur le bateau, même s’il n’y a pas de maïs dans cette version anglaise du plat. C’est ainsi qu’on a appris l’existence de la bibliothèque municipale, juste en face de chez eux. Un lieu qui s’est avéré salvateur à plusieurs moments, pour nous accueillir pour faire l’école quand Daniel travaillait dans le moteur ou pour se divertir dans leur coin jeux lorsque le temps était froid et gris. Tout au long de notre séjour à Wellfleet, Jeff et Louise ont été pour nous un véritable soutien. Ils nous ont ouvert leur maison pour cuisiner et faire du lavage. Un soir, alors que je sortais de la bibliothèque avec les enfants et que l’on rentrait à pied vers le bateau, après une journée un peu plus difficile que les autres, nous sommes passés devant leur maison au moment où ils revenaient du travail. Louise nous a happé au passage et nous a invité pour un chocolat chaud. Je n’ai même pas eu le temps de dire non, j’étais fatiguée et j’avais une pâte à pizza qui nous attendait au bateau pour le souper, les enfants étaient déjà à l’intérieur. Mais on ne peut pas résister à la chaleur de leur accueil et ce 5 à 7 improvisé m’a fait le plus grand bien. Je leur suis immensément reconnaissante d’avoir pris soin de nous pendant cette période un peu éprouvante. Pour les remercier, on les a invités à bord pour un souper pizza, une fois le bateau remis en ordre après les travaux. Mais c’était bien peu comparé à tout ce qu’ils ont fait.
Jeff nous amène faire un tour d'auto et visiter les plages du côté de l'Atlantique |
Au retour de Daniel, 3 jours plus tard, on répète l’opération avec la grue dans le sens inverse pour entrer le nouveau moteur dans le bateau. C’est là que le plus gros travail commence pour tout brancher et surtout adapter le nouveau moteur car il est plus petit que l’ancien. Un détail qui chicote Daniel depuis le début car il se demande bien comment il va pouvoir brancher la transmission, elle aussi beaucoup plus petite que la précédente. Mais ça en prend plus pour décourager mon chum. Ce qu’il craignait se confirme toutefois quelques jours plus tard : l’arbre d’hélice est trop court pour rejoindre la transmission. Il faut en faire fabriquer un autre sur mesure. Daniel trouve rapidement un endroit pour le faire, mais nous sommes dans l’attente de recevoir la pièce pendant quelques jours. Ce sera l’occasion d’entamer d’autres petites réparations sur le bateau, par exemple remplacer le tuyau de douche cassé pendant la traversée de Nouvelle-Écosse à Cape Cod (j’avais finalement réussi à trouver le bon robinet et à le faire livrer à la marina de Wellfleet), puis recoudre la bordure du génois qui s’était déchirée pendant le même trajet, opération qui s’est avérée très longue et particulièrement ardue (c’est coriace une voile!)
Coucher de soleil sur le port de Wellfleet |
Ainsi s’écoulaient les journées, toujours bien occupées. À travers les travaux, on s’octroyait quelques congés pour se reposer et profiter des alentours. Un samedi à la plage du côté de l’Atlantique, alors qu’une petite brise légère nous caressait le visage, on s’est sentis particulièrement nostalgiques et on a eu envie de se retrouver sur l’eau à voguer au fil des flots. Mais ce n’était pas encore pour tout de suite. On voyait les jours défiler sur le calendrier, devenir une semaine puis deux, on avait hâte de partir, mais on ne savait pas quand ce serait possible. Avec tout cela, octobre avançait et l’automne s’est installé pour de bon. Fini les baignades, le temps s’est rafraîchi, rendant plus difficile les journées à passer dehors pendant que Daniel travaillait sur le moteur. Même la bibliothèque municipale, où on allait presque tous les jours, avait perdu de son attrait. Le moral, parfois, flanchait un peu…
La Vallée du Vent attend patiemment son départ |
Dans l’attente de l’arbre d’hélice, Daniel essayait de trouver un moyen de sortir le bateau de l’eau pour pouvoir l’installer. Mais voilà, on était en pleine saison où les gens hivernent leur bateau, et la seule remorque qui pouvait sortir un bateau de notre taille n’était pas disponible avant le mois de novembre. On nous a référé à un grutier qui pouvait le faire, on avait convenu d’une date pour l’opération, mais on attendait toujours le prix. En l’absence d’une autre alternative, on a mis tous nos espoirs sur cette option, qui enfin nous permettrait de terminer l’installation du nouveau moteur. Le prix est arrivé deux jours avant le samedi où on devait soulever le bateau : 5000$ US. Beaucoup trop cher pour nos moyens. Soudainement, toutes nos espérances sont tombées à l’eau. On y a rêvé toute la nuit. Le lendemain, c’était un vendredi, on a recontacté la remorque pour réserver sa prochaine date disponible : le 15 novembre, trois semaines plus tard. Aïe! On s’imaginait naviguer dans le froid et le gel, les conditions météo allaient se corser au nord avant que l’on puisse atteindre un climat plus agréable. On aurait peu de temps au final dans les Caraïbes avant de devoir remonter en juin au début de la saison des ouragans. Ce jour-là, j’ai flanché. J’ai pensé rentrer au Québec avec les enfants pendant ces trois semaines. Et pour être honnête, je ne sais pas si je serais revenue. Depuis un mois que l’on était arrivés à Cape Cod, on avait surmonté tous les obstacles, mais là c’était trop. C’était comme si le mauvais sort s’acharnait contre nous. Daniel, aussi découragé que moi, mais plus lucide, cherchait désespérément une solution. Stuart, le maître du port, lui dit de passer le voir pour voir ce qui serait possible de faire. Il existait sûrement une façon de sortir ce bateau de l’eau. En échangeant avec lui, Daniel parle des marins d’il y a 400 ans, qui échouaient leur bateau sur la plage pour faire ce genre de travaux. Illuminé, Stuart lui dit qu’il connaît un endroit où on peut faire ça ici. De l’autre côté du quai des pêcheurs, la marée est assez basse sur la plage pour que la coque du bateau soit suffisamment dégagée pour faire le changement de l’arbre d’hélice. Tentant le tout pour le tout, Daniel saute sur l’occasion.
Samedi matin, 7h, l’équipe de la marina est là, en dehors de ses heures d’ouverture, pour nous remorquer à marée haute au quai des pêcheurs. Il ne reste plus ensuite qu’à attendre la marée basse pour effectuer les travaux. Si tout va bien, on devrait pouvoir rentrer à moteur à notre quai le soir même, une fois la marée redevenue haute. Daniel a passé la nuit à repasser dans sa tête toutes les opérations pour faire le changement d’arbre d’hélice rapidement. De mon côté, après ma cruelle déception de la veille, je n’osais pas mettre trop d’espoir dans cette manœuvre hardie, mais j’étais bien décidée à tenter l’expérience et d’aider mon capitaine du mieux que je pouvais. 6h d’attente pour arriver à marée basse, c’est long. D’autant plus qu’elle était un peu plus tardive qu’à l’ordinaire. N’y tenant plus, craignant que la marée n’atteigne pas son plus bas et que le niveau de l’eau se mette à remonter avant qu’il ait terminé, Daniel se met en short (malgré le 13 degré dehors) et commence les travaux les deux pieds dans l’eau. Je lui apporte les outils et les pièces qu’il a besoin, à deux on est très efficaces. Il avait tellement réfléchi pendant la nuit à toutes les étapes que 20 minutes plus tard, c’était fait, le nouvel arbre était en place. Il restait bien sûr le calibrage à faire pour tout bien enligner avec le moteur, mais le travail qui devait être fait à sec était terminé. Fiou!!! Finalement, la marée a continué à descendre pendant près d’une heure ensuite, on n’aurait pas eu besoin de se presser autant, mais ça personne ne pouvait le savoir. Il a ensuite fallu attendre encore 6h que la marée remonte. Ça aussi c’est long! On était un peu inquiets car l’avant du bateau s’enfonçait légèrement dans la vase et on espérait qu’il n’allait pas rester enlisé. Comme le bateau était bizarrement penché vers le quai et vers l’avant, Daniel n’a pas pu terminer l’enlignement de l’arbre comme il faut, il manquait le fine tuning. On a donc dû se faire remorquer à nouveau vers notre quai, ce qui nous a tout de même causé une petite déception car on pensait rentrer par nos propres moyens, mais au moins on savait que notre échouage avait fonctionné. Encore une fois et comme toujours, l’équipe de la marina était là pour nous, à 19h, un samedi soir, pour nous ramener une dernière fois à notre quai. Dimanche, Daniel a enfin pu terminer le calibrage, ce qui a tout de même pris une bonne partie de la journée. Mais on y était! Enfin, tout était en place et on pouvait planifier notre départ!
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Remplacement de l'arbre d'hélice à marée basse |
Lundi matin, on sort dans la baie faire une vraie sortie pour tester le moteur. On est vraiment fébriles! Tout fonctionne à merveille et on revient à notre quai, triomphants. Le reste de la journée, on s’active aux derniers préparatifs du départ. Épicerie, rangement, plein d’eau, de diésel et d’essence. À 16h, on organise une petite fête de départ au bateau avec tous les employés de la marina. Et bien sûr, on termine cette dernière journée par un souper avec Jeff et Louise.
Plusieurs personnes rencontrées nous ont félicité
pour notre courage et notre ténacité, ils étaient impressionnés par notre volonté à
réaliser notre rêve. Le fait est que l’on n’y serait probablement pas arrivés sans tous
ces gens qui nous ont aidé, de toutes les façons possibles, et qui nous ont permis
de poursuivre notre voyage. Merci Wellfleet.
À 8h, mardi le 27 octobre, les employés de la marina sont là pour assister à notre départ. Il y a du gel sur le quai et sur le pont du bateau, rendant les manœuvres très glissantes. La météo nous dit ce jour-là que c’est bien le temps de partir. C’est le cœur gros, mais heureux, que l’on envoie la main à tous ceux qui nous regardent quitter le quai. Et maintenant, que l’aventure continue…
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