Larguer les amarres… et revenir
Matin du 22 juillet. On s’est levés à 4h00 pour commencer les manœuvres du départ. Le vent soufflait fort et le bateau tirait sur ses amarres, mais il était dans la bonne direction pour nous décoller du quai. C’était tout de même du 25-30 nœuds qu’on avait, on s’attendait à de la grosse mer. On voulait profiter de ce bon vent pour prendre de l’avance sur notre route, car il s’annonçait beaucoup plus faible dans les prochains jours. On savait qu’on allait avoir du vent de face en sortant de la marina et que ça ne serait pas de tout repos, mais une fois que l’on aurait pris notre cap pour aller vers le nord de l’île, on aurait une allure ¾ arrière, beaucoup plus confortable.
Lorsque la Vallée du Vent a franchi le brise-lame qui nous protégeait de la houle, on s’est aperçu que les vagues étaient beaucoup plus imposantes que l’on pensait. Daniel a mis le moteur à fond pour les affronter. Ça tapait dur! Mais notre belle bête fendait les flots avec panache. Dès qu’on a pu, on s’est attelé à hisser les voiles, ce qui allait nous stabiliser et rendre la navigation moins tourmentée. L’écoute du génois était coincée et dans les conditions s’était difficile de se rendre à l’avant, même attachés avec nos harnais, pour voir où était le problème. Alors qu’on essayait de la décoincer à partir du cockpit, Véro s’est levée pour nous avertir que ça sentait le brûlé à l’intérieur. Daniel a diminué le régime du moteur immédiatement, mais il était impossible de l’éteindre tout de suite tant que la voile n’était pas sortie, sinon les vagues nous auraient repoussés vers les rochers. On a enfin réussi à sortir le génois et Daniel a coupé le moteur immédiatement. Mais le mal était fait.
On ne savait pas encore quelle était l’ampleur des dégâts. On a ouvert toutes les écoutilles et les hublots pour aérer l’intérieur qui était empli de vapeur et qui avait une très mauvaise odeur de prestone. Évidemment, l’incident a réveillé les enfants, même s’il n’était pas encore 5h du matin. On avait pris notre allure ¾ arrière, mais ça brassait toujours pas mal dans des vagues de 2-3 mètres. On avait tous vraiment mal au cœur, sauf le capitaine qui veillait au grain. C’est ce qui s’appelle être dans du gros temps, mais on en avait vu d’autre. Et bien sûr on était préparé à ce que ça nous arrive en pleine mer. Peut-être pas en sortant des Îles-de-la-Madeleine par contre.
N’eût été cette surchauffe du moteur, on aurait repris nos esprits plus rapidement. C’était de la navigation corsée, mais tout se passait bien. En d’autres circonstances, on aurait dit « Youhou!!! Ça file! » Même s’il y avait des trombes d’eau qui entrait de partout dans le bateau, qu’on entendait les conserves se cogner dans les armoires et que plusieurs choses sont tombées de nos tablettes. On a réalisé qu’il va falloir réorganiser un peu notre rangement! Une fois l’odeur dissipée dans le carré, on a refermé les écoutilles (surtout après qu’une vague soit entrée dans la cabine des enfants et ait tout arrosé Achille!), mais bon, le bateau était déjà trempé! On était blottis tous ensemble dans le cockpit à regarder la mer agitée (et à vomir aussi…)
Mais il y avait cette histoire de moteur qui nous tournait dans la tête. Une fois au bout de Grosse-Île (la pointe nord des Îles-de-la-Madeleine), on se retrouverait vent arrière, ça brasserait moins et Daniel allait en profiter pour soulever la table et vérifier l’état du moteur. Un trajet qui a pris près de 6h tout de même, avant d’en avoir le cœur net. Pendant tout ce temps, ça jonglait dans nos têtes. Déjà je me disais que c’était mauvais signe. Ça faisait trois défectuosités du moteur qu’on rencontrait depuis notre départ de Québec. Et s’il fallait réparer, cela retardait encore notre départ de quelques jours, déjà qu’on commençait à être très tard pour traverser. C’est comme si tout s’alignait pour nous empêcher de partir. Je croisais les doigts pour que ce ne soit pas grave et qu’on puisse continuer notre route, mais j’en doutais fortement. Je n’arrivais pas à me convaincre d’aller ranger les défenses et attacher les amarres sur le pont, moitié à cause du mauvais temps, moitié à cause de mes appréhensions pour la suite du voyage.
Je n’étais pas dans la tête de Daniel, mais il songeait pas mal à la même chose que moi. Avec ses connaissances et aptitudes en mécanique, il appréhendait déjà le bris et envisageait que l’on se rende à Cap-aux-Meules pour réparer. Une fois au bout de l’île, même à vent arrière, c’était toujours sportif d’ouvrir le moteur, on s’est mis à la cape et il a réussi à jeter un coup d’œil pour constater ce qu’il craignait : un tuyau fondu et peut-être d’autres pièces brûlées. On a dévié de notre route pour nous diriger vers Cap-aux-Meules, sauf qu’on s’est retrouvé avec un fort vent de face et avec seulement notre génois ouvert, on n’arrivait pas à remonter suffisamment le vent pour se rendre à destination. On n’était pas en danger, mais on allait avoir besoin d’aide pour rentrer à la marina. Daniel a appelé la garde côtière pour nous remorquer. Un zodiac aurait suffi à nous conduire, mais c’est le gros « Baie de Plaisance » qui est venu nous chercher. C’était comme avoir un éléphant pour tirer une fourmi! Daniel pleurait son rêve lorsque nos sauveteurs sont arrivés. Ils nous ont solidement attachés et ils nous ont traînés pendant 2h jusqu’à Cap-aux-Meules, la garde-côtière à une vitesse de tortue pour leurs gros moteurs de 22 000 forces, nous à la vitesse grand V pour notre voilier, un 10 nœuds dans le tapis qui nous envoyait des embruns qui s’infiltraient partout dans le cockpit. On était trempés! Comme voyage, on a connu plus confortable…
Le plan B
Justement pendant ce voyage, c’est devenu clair qu’on ne pouvait pas traverser l’Atlantique dans ces conditions, avec notre moteur qui n’était pas tout à fait au point. À voile, et surtout en mer, on peut se débrouiller longtemps sans en avoir besoin, mais un moteur c’est tout de même une porte de sortie importante s’il arrive quelque chose, ne serait-ce que pour recharger des batteries à plat. On a été chanceux que ça nous arrive tout de suite au départ et pas dans une semaine, en plein océan. C’était crève-cœur comme décision. Mais on ne s’est pas obstiné ni un ni l’autre. On pensait la même chose, sans l’avoir dit avant. On s’était dépêché depuis Québec pour attraper notre fenêtre météo et traverser vers la mi-juillet, mais c’était trop tard. Les vents commençaient à changer, à être moins constants. Les alizés se terminaient et déjà des trous de vents s’annonçaient, ce qui promettait d’allonger notre trajet en mer. Ce lundi matin, c’était notre last call, et on l’a manqué. C’était dur à avaler, mais on savait que c’était la meilleure chose à faire. On aurait pu regretter longtemps (bon on regrette quand même encore beaucoup!) mais on a décidé de regarder vers l’avant.
Depuis le début des préparatifs, on savait que c’était possible qu’on arrive en Nouvelle-Écosse (notre point de départ prévu initialement) et qu’on ne puisse pas traverser à cause de la météo, surtout si les ouragans commençaient plus tôt. On s’était préparé à cette éventualité, mais c’est un autre scénario qui nous a fait revirer de bord. Pourtant on le sait, la navigation est tellement parsemée d’imprévus! Il faut sans cesse s’adapter aux éléments qui changent, c’est certain qu’il allait y en avoir pendant l’année. Curieusement, on essaie toujours de se préparer à ce qu’on ne peut pas prévoir, mais ça arrive toujours de toute façon au moment où on s’y attend le moins…
Malgré ce revers de situation, on ne va pas mettre fin à l’aventure. On avait déjà exploré la possibilité, si jamais on ne pouvait pas traverser l’Atlantique cet été, de descendre dans les Caraïbes en longeant la côte Est américaine. Ça nous permettra de bien tester notre moteur, d’apporter les ajustements nécessaires et d’être proches en cas de problèmes. Ce n’est pas la grande odyssée dont nous rêvions, l’intra-costal, c’est la voie facile pour se rendre dans le sud, ce n’est pas quelque chose qui nous passionnait au départ. Ça signifie surtout beaucoup de navigation à moteur. Mais c’est peut-être justement ce qu’il nous faut en ce moment pour le mettre à l’épreuve et retrouver confiance. Au retour, en remontant des Caraïbes, c’est le trajet qu’on voulait faire pour s’arrêter en passant à Washington, New York, Boston… visiter des grandes villes en arrivant en bateau en plein cœur du centre-ville. Ce sera une autre expérience!
Cette grande traversée de l’Atlantique, on se promet de la faire. Peut-être le printemps prochain, pour compléter notre itinéraire à l’envers! On verra. Pour l’instant, on est au jour le jour. J’ai hâte de repartir, de me retrouver à nouveau sur l’eau, de continuer notre route, même si c’est dans une autre direction. Ce sera le plus grand baume sur notre déception. On s’enligne vers la Nouvelle-Écosse. On avait toujours eu envie de naviguer dans le Lac Bras d’Or au cœur du Cap Breton, mais l’occasion ne s’était jamais présentée, alors on saisit notre chance. Ensuite, qui sait ce que le vent nous réserve?
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