Direction Nouvelle-Écosse

 


Après plusieurs jours de travaux pour réparer, tester et faire des ajustements au moteur, nous avons pris une journée de congé bien méritée à l’ancre à Havre-Aubert. Dimanche le 28 juillet, c’était le moment de se remettre en route, enfin. Le matin du départ, on s’est tout de même offert le luxe de faire la grasse matinée jusqu’à 8h, pendant que les enfants s’amusaient tranquillement. On s’est ensuite attelé aux préparatifs pour lever l’ancre, qui s’était enlisée dans la vase. Ça a pris du bras pour la sortir de là (le travail de Daniel, bien entendu). On est partis avec un fort vent ¾ arrière. On a mis le tangon sur le génois, mais la manœuvre nous a donné beaucoup de fil à retordre. L’enlever a été tout aussi épique. Morale de cette histoire, lorsque le tangon est difficile à poser, ça veut dire qu’il vente trop et que justement, il ne faut pas le mettre.

 

Ça nous a pris du temps à bien ajuster les voiles et, selon le jeu de mot involontaire de Daniel, « trouver une allure qui a de l’allure ». Une fois passés l’Île d’Entrée et bien enlignés vers la Nouvelle-Écosse, on s’est retrouvés avec un bon vent de travers et on a filé plusieurs heures sans histoire (on perd la notion du temps quand on navigue). Le vent de 17 nœuds annoncé pour notre traversée était beaucoup plus fort que prévu. Et plus on avançait, plus le vent forcissait… Rendu à 30-35 nœuds, disons que ça souffle pas mal. Il faut enlever de la toile à l’avant. Mais quand on a un génois de cette taille, ça ne se rentre pas si facilement dans le gros temps. En 2022, en remontant le Saguenay, alors qu’on essayait vainement d’enrouler la voile, une de nos écoutes s’était envolée et avait claqué sur le génois au point de l’abîmer. Mais on a pris de l’expérience depuis. Par deux fois on s’est placés dos au vent et on a réussi à réduire le génois sans problème. À la fin, ce n’était plus qu’un petit mouchoir à l’avant. C’est le genre de conditions qu’on aurait pu rencontrer en mer, on se trouvait quand même bons, on gérait bien, mais on restait sur le qui-vive à regarder la vitesse du vent qui ne semblait pas vouloir diminuer. Sans parler des vagues de 2 à 4 mètres qu’on avait par le travers. Cette fois, c’était le capitaine qui avait un peu mal au cœur.

 

Dans ces conditions, on ne cuisine pas à bord. Trop inconfortable, trop de risque que ça renverse. Alors j’ai mis un pâté chinois surgelé dans le four, au grand bonheur des enfants. Au moment de le sortir du four, une vague m’a jetée par terre avec le pâté chinois qui s’est retrouvé sur le plancher de la cuisine… Dans tous les récits de grande navigation que j’ai lus, il y a toujours au moins une fois où on raconte que le contenu du souper s’est renversé dans le gros temps. Donc voilà, c’est fait, ça venait de nous arriver. (Pour la petite histoire, on a mangé le pâté chinois quand même.) Pas besoin de préciser qu’on n’a pas fait la vaisselle à bord ce jour-là. Je ne me suis pas non plus amusée à perfectionner mes habiletés à la barre, j’ai laissé le pilote automatique faire son excellent travail.

 

On commençait à se questionner pour la nuit. On allait bientôt contourner la pointe Nord de la Nouvelle-Écosse et nous diriger vers le canal qui nous mènerait dans le lac Bras d’Or. Le vent ne se calmait toujours pas et on n’avait pas envie de naviguer près des côtes dans ces conditions, sans rien y voir et sur une route qu’on ne connaissait pas. On pouvait prendre un 2e ris dans la grande voile (ce qu’on avait eu la flemme de faire jusqu’à maintenant), mais est-ce que ce serait suffisant? Finalement, en passant le Cap Breton, on s’est retrouvés sous le vent, protégés par les hautes montagnes de la Cabot Trail. Le vent est descendu en bas de 10 nœuds (soulagement), les vagues sont tombées, et on avait maintenant un vent de face. Ça réglé la question, on a parti le moteur et on a affalé les voiles. Ça nous assurait une nuit beaucoup plus tranquille que ce qu’on avait rencontré dans la journée. Ça faisait du bien une petite accalmie. 

 


 

J’ai fait le premier quart jusqu’à 1h du matin en cognant des clous. Avec un vent dans le nez, ça nous ralentissait pas mal. Quand Daniel a pris le relais, le vent a forci et on s’est retrouvés avec 20 nœuds de vent de face. Il a dû nous rapprocher davantage de la côte car on n’avançait plus du tout. Au matin, vers 7h30, avec la lumière du jour qui nous offrait une belle visibilité, on s’est encore rapprochés du bord, où le vent était moins fort. On est entrés dans l’étroit canal Saint-Patrick, où on a rencontré un fort courant de surface, allant parfois jusqu’à 4 nœuds. On avançait à 2,5 nœuds à moteur. Le passage nous paraissait interminable. Mais au moins, après la navigation musclée de la veille, on avançait en douceur en admirant autour de nous les paysages sauvages de montagnes, de falaises et de forêts qui nous entouraient. (Et j’ai pu faire la vaisselle.)

 

Quant à avoir un vent et un courant de face qui nous ralentissaient, on a décidé de s’arrêter au premier endroit où on pouvait s’ancrer, Kelly’s Cove. Il y avait un quai, où on est allés s’amarrer. Mais ce n’était pas très confortable, le vent nous poussait fort contre le quai, malmenant nos défenses (des bouées placées sur le côté du bateau pour nous empêcher de cogner la coque sur le quai) et tirant sur nos amarres. On s’est demandé comment on allait partir de là avec ce vent de 20 nœuds qui ne lâchait pas. On avait le souvenir de notre expérience de l’année dernière à Souris, où on n’avait pas été capable de quitter le quai dans des conditions semblables. On en a quand même profité pour manger tranquillement et descendre à terre pour se dégourdir les jambes, ce qui nous a tous fait vraiment du bien. Après cette petite pause, on était prêts à poursuivre notre trajet jusqu’à Baddeck, notre destination finale. Le GPS nous estimait environ 3h de navigation pour une vitesse moyenne de 5 nœuds. Si on continuait à 2,5 nœuds, on en avait pour 6h. Sauf qu’on avait bon espoir que le courant diminuerait un peu avec la marée qui s’inversait. Il était 14h, on ne devait pas trop tarder si on voulait arriver avant le coucher du soleil. On avait quand même du jeu, ce n’était pas trop stressant. On a pris une grande respiration et on s’est attaqués à nous décoller du quai. Contrairement à Souris, la baie était déserte, on avait donc amplement de marge de manœuvre pour avancer et se retourner. Daniel était à la barre et pendant qu’on avançait lentement, je poussais de toute mes forces (ou presque) pour nous éloigner du quai. On est passés de justesse au coin du quai et on a réussi à partir sans une égratignure.

 

Nous continuons donc notre route pour remonter le canal Saint-Patrick jusqu’à Baddeck. Le vent est toujours à 20 nœuds de face, le courant est un peu moins fort, mais nous avançons encore très lentement. Le trajet nous semble interminable. La dernière heure avant d’arriver, le vent a viré pour nous arriver par le travers tribord. Après de très nombreuses heures de moteur, on a pu faire les derniers miles nautiques à voile. Le bonheur. Vers 18h30, enfin arrivés dans la baie, on se trouve une place pour s’ancrer à travers les nombreux mâts de voiliers. L’ancrage est tranquille, bien protégé, pas de vague, pas de vent. Après 33h de voyage, on va bien dormir c’est sûr.

 

 

La bonne nouvelle, après cette longue et fastidieuse route, c’est que nous avons eu zéro problème avec le moteur, même si on l’a fortement éprouvé pendant de nombreuses heures. Ça augure bien pour la suite du voyage.

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