La route du fleuve

 

De Saint-Jean-Port-Joli, nous avons mis le cap vers Rimouski. 22h de navigation directe pour notre deuxième journée de voyage. On se pratique pour les longues distances à venir. Cette route qui descend le fleuve Saint-Laurent vers l’Est, jusqu’au Golfe, nous l’avons fait plusieurs fois. Jusqu’à maintenant, nous sommes encore en terrain connu. Mais c’est avec grand bonheur que l’on retrouve ces paysages qui ont habité nos étés précédents. Le vent est avec nous, on hisse rapidement les voiles et le moteur restera éteint la plus grande partie de notre trajet. Une autre journée de navigation tranquille, vent arrière avec les voiles en ciseaux. 15 à 20 nœuds de vent stables toute la journée, on voit rarement ça sur le fleuve.

 

On se réapproprie les manœuvres et le vocabulaire. Border c’est rapprocher la voile (la serrer), choquer c’est éloigner la voile (la laisser aller). Je suis un peu rouillée, mais ça revient vite. La grande voile me fait toujours autant suer, dans tous les sens du terme. Elle est interminable à monter et je sais maintenant que je dois enlever une couche de vêtements lorsque je m’apprête à la hisser, sinon j’ai vraiment trop chaud! Je me répète, mais ça nous fait vraiment du bien d’être sur l’eau, la pression retombe en un rien de temps et on profite pleinement du moment présent. On aperçoit même nos premiers bélugas!

 

On doit se réhabituer aux quarts de nuit. Pour cette première navigation sous la lune, on décide de se relayer aux deux heures. Ça fait de courte période d’éveil à la fois, ça passe vite, sauf que c’est vraiment difficile de se rendormir entre chaque quart. Ça ne fait pas beaucoup de sommeil en ligne! Il va falloir allonger nos quarts de veille pour faire chacun 4h, ça nous permettra de mieux dormir.

 

Rimouski

On a les yeux remplis de fatigue en arrivant à Rimouski vers 6h30 du matin. On s’écroule sur notre lit et on dort jusqu’à ce que les enfants se lèvent… environ 30 minutes plus tard. Heureusement, Catherine, la fille de Daniel, qui habite à Rimouski, nous offre d’amener Ulysse et Achille cueillir des fraises. Les garçons sont ravis et nous on récupère nos heures de sommeil!

 

On profite de notre séjour à Rimouski pour cuisiner, faire le plein de provisions et pour terminer certains travaux sur le bateau, comme fixer l’antenne de notre Starlink pour avoir internet à bord. Daniel est vraiment bon pour patenter tout ce qu’il faut à bord! On est resté trois jours avant de repartir vers notre prochaine destination : Rivière-au-Renard à la pointe de la Gaspésie. On a attendu une journée de plus pour avoir un vent favorable avec nous.

 

 

Prendre le large

C’est ce que nous avons fait en quittant Rimouski, on s’est éloignés de la côte pour aller chercher le vent qui nous attendait au milieu du fleuve. Nous avons hissé les voiles dès que nous sommes sortis du canal balisé de la marina. La brise était bonne, mais un peu faible pour faire avancer notre bateau de 42’. On avançait à une vitesse de 3 nœuds, lentement mais sûrement. C’est long! L’an dernier, on aurait allumé le moteur pour se rendre plus vite là où se trouve le vent, mais en prévision de la traversée, on se pratique à prendre notre temps. On avait un 36h de navigation devant nous, mais lorsque le GPS indiquait une arrivée dans 56h si on continuait à cette allure-là, c’était un peu décourageant… Ça nous a pris plus de 3h pour atteindre le vent. Un bon exercice de zénitude! J’en ai profité pour perfectionner mes habiletés à la barre, mais il n’y a pas grand défi quand c’est aussi calme.

 

On a accéléré peu à peu une fois que nous avons pris notre cap vers Rivière-au-Renard, avec le vent ¾ arrière. Notre deuxième nuit de navigation a été plus facile, avec des quarts de 4h qui nous ont permis de vraiment dormir chacun notre tour. Il fallait être vigilant, car on naviguait juste à côté de la voie maritime où circulent les gros bateaux de marchandises. Mais on a croisé aucun navire pendant la nuit. Au matin, c’est un gros swell qui nous est arrivé par derrière. Le swell, c’est de longues vagues qui arrivent de loin, formées par le vent. Et c’est bien fatiguant car ça vous barouette de tous les bords. Ulysse et Achille ont été malades à tour de rôle, ce qui est assez rare pour nos matelots, qui sont peu enclins au mal de mer. Mais après tout, il faut dire que ce n’était que notre 3e sortie en mer, on commençait raide avec de longues journées de navigation tout de suite en partant, notre corps n’avait pas eu le temps de s’amariner complètement. On a dû partir le moteur à certains moments pendant la journée, lorsqu’il n’y avait plus assez de vent pour permettre aux voiles de stabiliser le bateau dans le swell. Autrement, c’était vraiment trop inconfortable.

 

On avançait à belle allure maintenant, ce qui a (heureusement) rapproché notre heure d’arrivée, mais on savait qu’on avait encore toute la journée à faire sur l’eau. Avec notre expérience, on estimait notre arrivée entre 22h… et 6h du matin. Grâce à un très bon courant en se rapprochant, on est finalement entrés dans la baie de Rivière-au-Renard vers minuit. On est allé se mettre à l’ancre devant la plage à côté de la marina. Un jour et demi de navigation en ligne comme troisième sortie de la saison, c’était un bon entraînement. Mais on était content de ne pas avoir une autre nuit de veille devant nous. On a pu dormir sur nos deux oreilles, bien tranquilles à l’abri des vagues dans la baie. (Ça a fait du bien après notre journée dans le swell…)

 

Vers les Îles-de-la-Madeleine

Le lendemain matin, malgré le calme plat dans la baie, Achille vomissait encore… Mal de mer, déshydratation ou gastro, on ne le saura probablement jamais, mais toujours est-il qu’on a dû sortir notre solution électrolyte de la pharmacie. (Merci trousse de premiers soins.) On est allés se mettre à quai à la marina pour accueillir à bord mon amie Véro, notre nouvelle équipière et pour se préparer à partir dès le lendemain vers les Îles-de-la-Madeleine, notre destination favorite des dernières années.

 

Le vent n’était pas très fort lorsque nous avons quitté Rivière-au-Renard. En se fiant à notre application pour les vents, Daniel nous a fait faire un détour qui nous a permis de passer entre le rocher percé et l’Île Bonaventure. On a profité du paysage avant de contourner l’île et de se diriger dans le Golfe, où un bon vent de travers nous attendait, comme l’avait prévu le capitaine. Ça gitait pas mal, mais ça filait sur l’eau! On a pris un ris dans la grande voile, ce n’était quand même pas une course qu’on faisait, et ça nous a ramené à une allure plus confortable. (Quoique pas tout à fait tranquille pour autant.) Au coucher du soleil, le vent était instable (comme ça arrive souvent), les voiles claquaient et flacottaient dans tous les sens. Daniel a pris le premier quart de nuit pour veiller à faire les bons ajustements. Une fois que le vent s’est rétabli, il a soufflé 17-20 nœuds jusqu’à notre arrivée et on a pu rester à voile jusqu’au moment d’entrer dans la marina de l’Étang-du-Nord. C’était notre plus belle traversée aux Îles-de-la-Madeleine!

 

On estimait notre arrivée vers midi, aussi on s’attendait à voir les îles vers 8h du matin. Dans nos autres traversées, on les voyait vraiment de loin! Mais ce matin-là, elles restaient invisibles. Vers 10h, on a commencé à douter… est-ce qu’on est vraiment sur le bon chemin? Est-ce qu’on a été dérouté sans qu’on s’en aperçoive? Mais quand tu as deux applications GPS différentes qui te disent que tu es exactement là où tu es censé être, tu te dis que ça doit être bien ça. On s’est quand même amusés à inventer des scénarios catastrophes de prise de contrôle de tous les satellites en se demandant où on allait bien atterrir si on passait au large des Îles-de-la-Madeleine. (Île-du-Prince-Édouard? Nouvelle-Écosse? Ou rien du tout?) Mais ce n’était qu’un léger voile brumeux à l’horizon qui rendait la visibilité réduite et les falaises des îles sont bientôt apparues au loin.

 

Accostage au quai de pêcheur, vraiment pas adapté pour un voilier. On a réussi à entrer à notre place, mais on s’est dit qu’on allait avoir vraiment du mal à partir de là. Plus tard dans la journée, on change de place avec un bateau de pêcheur pour ne pas être pris en sandwich quand viendra le moment de quitter. C’est en arrivant que Daniel remarque que le moteur et la transmission coulent… Est-ce que le voyage s’arrêtera ici?

 


 

À la veille de la grande traversée

Une première investigation avec Denis, mécanicien des îles, permet d’être très optimiste. Ce n’est pas grave, c’est un « seal » qui a brisé et qu’il faut remplacer. Mais trouver la pièce n’est pas nécessairement évident quand tout arrive ici par bateau… Daniel en fait venir trois de Québec, mais elles ne seront pas là avant le vendredi ou le lundi suivant. Ce retard ne faisait pas partie de notre horaire… Mais on profite de ces quelques journées supplémentaires aux Îles pour aller à la plage et faire quelques haltes gourmandes. Denis finit par trouver la pièce manquante et la journée de samedi est consacrée à remonter le moteur et la transmission, à faire des tests et des ajustements.

 

Avec ce nouveau retard, on décide de ne pas faire d’escale en Nouvelle-Écosse et de partir directement des Îles-de-la-Madeleine pour traverser aux Açores. Le départ est fixé à lundi matin. Véro et moi on s’attèle aux préparatifs du départ et on passe notre journée du samedi à cuisiner pour se faire des réserves de bouffe à bord. On planifie un menu sur trois semaines pour être certains qu’on ne manque de rien si jamais la traversée est plus longue. Et on fait une méga liste d’épicerie avec tout ce que ça nous prend dans le frigo et le garde-manger. Dimanche, Daniel et moi faisons une gigantesque épicerie et nous dévalisons littéralement les tablettes d’eau du magasin. Pendant qu’il s’affaire aux derniers préparatifs du bateau, Véro et moi on range tout ce qui est non périssable dans les équipets du bateau. C’est étonnant comment on peut trouver de la place de rangement, sous les bancs, en dessous des lits, dans les côtés… On réussit à tout caser, il faudra juste essayer de tout se rappeler où on a mis les choses.

 

Le soir, il est 22h lorsqu’on termine les préparatifs. Pour un réveil à 4h du matin, la nuit sera courte… Mais dans la fébrilité du départ, nous n’avons pas tellement dormi de toute façon.

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