Nouveau départ

 


On s’est levés tôt pour préparer notre départ de Wellfleet, prévu vers 8h. On a calculé qu’il fallait partir à marée haute pour traverser le canal de Cape Cod à marée descendante et avoir le courant avec nous. Notre objectif dans les prochains jours était de rejoindre nos amis du voilier Mischief qui se trouvaient juste un peu plus bas près de Long Island. On ne les avais pas revus depuis Lunenberg en Nouvelle-Écosse et on espérait passer l’Halloween avec eux.

Il fait froid, il y a des traces de gel sur le quai et sur le pont du bateau. La météo nous dit qu’il est temps qu’on parte vers le sud. 8h du matin, les gens de la marina sont là pour nous dire au revoir. Il y a aussi des passants sur la promenade qui nous envoient la main. Nous sommes excités et fébriles à l’idée de repartir, mais nostalgiques de laisser derrière nous cette communauté accueillante.

Il y a peu de vent, on fait une navigation tranquille à moteur. Ça tombe bien il faut le faire fonctionner pour bien le roder. Daniel le fait tourner à différentes vitesse pour le tester.

Nos ennuis avec l’ancien moteur, de même que notre arrêt d’un mois à terre, nous rendent plus craintifs. On est toujours à se demander si quelque chose va briser. Mais le moteur va très bien. Arrivés de l’autre côté du canal de Cape Cod, le vent se lève à 15 noeuds dans Buzzards Bay. On pourrait tirer un grand bord vers la terre et ensuite mettre le cap vers les îles Élisabeth, où nous souhaitons nous ancrer à Cuttyhunk pour la nuit. Mais ni Daniel, ni moi, n’avons le courage de lever les voiles et d’allonger notre navigation, on veut arriver à destination avant le coucher du soleil. On se donne le droit de se remettre tranquillement dans le bain et on reste à moteur. Pour nous narguer, où nous faire rêver, un voilier toutes voiles dehors nous dépasse à vive allure, gîté à 45 degrés. Ce sera nous, bientôt. Lorsqu’on arrive à Cuttyhunk, on va s’amarrer à un mooring, gratuit hors saison. Le vent est rendu à 25 noeuds, le ciel est gris, et on a toutes les misères du monde à s’attacher à la bouée.  On est heureux d’être à l’abri dans cette petite baie intérieure, parce que déjà ça brasse pas mal. Avec ce gros vent, on gèle dehors. On ferme l’abri du cockpit et la porte du bateau. On entend le vent qui siffle et qui tape dans les haubans. Le soir, personne ne se fait prier pour aller se coucher après cette journée de 10h sur l’eau. Par précaution, en prévision des 30 noeuds de vent annoncés pendant la nuit, Daniel va ajouter une deuxième amarre au mooring.

Les prévisions ne sont pas terribles pour notre 2e journée. Vent de 25 noeuds en rafales le matin et qui vire de face l’après-midi. On a quasiment envie de rester là, mais il n’y a rien à faire dans cette île perdue à ce temps de l’année. Par ailleurs, c’est encore pire le jeudi, alors que le vent sera moins fort si on continuer d’avancer. À 8h00, l’anémomètre indique 15 noeuds de vent. Il risque d’être plus fort en sortant de la baie, mais il aura une bonne direction jusqu’à midi, on veut en profiter. On a connu pire de toute façon, c’est juste qu’on n’est plus habitués. Il y aura certainement des bouts un peu durs dans la journée, mais on y va, il faut poursuivre notre route. On ouvre un peu le génois en sortant de la baie, on reste prudent en sachant que du vent plus fort nous attend peut-être plus loin. C’est toujours plus facile d’en ouvrir davantage que d’avoir à en ravaler. Lorsqu’on prend notre cap vers notre nouvelle destination, on a un vent de travers et on s’apprête à monter la grande voile. Puis le vent tourne et nous arrive à 30 degrés, presque dans le nez. En moins d’une heure les prévisions ont changé. On fera une journée de navigation avec un vent de face. Dès que les îles à l’Est sont derrières nous, on attrape les vagues du large et le bateau se met à rouler. Des vagues de 2 mètres dans le côté, ce n'est pas très agréable, mais ça n'a rien à voir avec les 5-6 mètres qu’on a eu en quittant la Nouvelle-Écosse. Les enfants sont malades, on sort à nouveau les pilules pour le mal de coeur, mais celles qu’on a achetées aux États-Unis ne semblent pas trop efficaces. La bonne nouvelle dans tout cela, c’est que le vent est autour de 12 noeuds. Rien à voir avec les pointes à 26 noeuds prévues ce matin. Tant mieux. Il forcira quand même dans l’après-midi jusqu’à atteindre 17-19 noeuds. Lorsqu’on arrive pour s’amarrer à un mooring (encore gratuit) dans la baie intérieure de Block Island, il vente 20 noeuds. La manœuvre est quand même un peu plus facile que la veille. Sauf qu’on dormira très mal, la corde métallique du mooring ne cessant de taper sur notre ancre pendant la nuit, faisant un grand CLONG sonore qui ne manquait pas de nous réveiller.

On part tôt le lendemain car nous avons encore 7h de navigation à faire avant de rejoindre nos amis du voilier Mischief. Encore 15 à 20 noeuds de vent dans le nez, une autre journée de moteur nous attend. On traverse à nouveau une zone de vagues de côté qui nous font rouler d’un bord à l’autre. On a essayé une nouvelle stratégie avec les enfants, ils prennent leur pilule pour le mal de coeur avant de partir et ils prennent un bon déjeuner. Ça a l’air de fonctionner car il n’y a pas eu de mal de cœur dans la journée. Ou alors on recommence tranquillement à s’amariner. Sûrement un peu des deux.

Les vagues diminuent finalement lorsque nous sommes à l’abri de Long Island. Nous rejoignons nos amis du voilier Mischief en début d’après-midi. On se met à l’épaule, comme cela on peut circuler librement d'un bateau à l'autre. Les enfants sont fous de joie de retrouver leur amie Adélaïde! On passe l’Halloween avec eux dans la petite ville de Old Saybrook, dans le Connecticut. C'est probablement leur plus grosse récolte de bonbons de l'histoire! Ce fût une soirée de fête et de retrouvailles très joyeuse, ce genre de moments qui nous fait apprécier notre voyage et les rencontres fortuites que l'on y fait.

Vendredi, jour de congé, ou plutôt de préparatifs en vue de notre longue navigation vers Norfolk. On a une belle fenêtre météo de 3 jours, ce qui sera de plus en plus rare au fur et à mesure que l’automne avance. Nos amis du voilier Mischief ont décidé de nous accompagner et de voyager à nos côtés. On a hâte d’être au chaud.

Départ samedi matin à l’aube pour profiter de chaque minute d’ensoleillement. On contourne Long Island pour éviter de passer par le canal de New York. On nous a prévenu qu’à cette période de l’année, le courant et le vent pouvaient y être très forts, en plus du gros trafic maritime qui passe à cet endroit.

Dès notre sortie de la rivière Connecticut, nous hissons les voiles. On doit se reprendre à trois reprises pour monter la grande voile. Elle n’arrête pas de se coincer. On est rouillés c’est sûr. La Vallée du Vent est en feu! Même avec un petit vent de moins de 10 noeuds elle atteint facilement une vitesse de 5 noeuds sur l’eau. On doit enlever un peu de toile et rétrécir nos voiles pour aller moins vite et attendre nos amis de Mischief. Il fait beau, on avance doucement, petite navigation tranquille et agréable, ça faisait longtemps qu'on rêvait de ça!

Nos amis du voilier Mischief voyagent à nos côtés
 

Le vent a été timide toute la journée mais prend en force après le coucher du soleil. Ça commence à se corser quand les enfants vont se coucher. Heureusement on avait déjà pris deux ris dans la grande voile en prévision de la nuit. Daniel prend le premier quart de veille, je n’arrive pas vraiment à dormir avec le bruit de tout ce qui cogne dans les armoires. Il va falloir que je reprenne le rythme des navigations de nuit. Après des pointes de rafales à 28 noeuds, le vent se stabilise à 15 noeuds et c’est beaucoup plus calme quand je prends mon quart. Il fait froid, j’enfile mon manteau d’hiver par-dessus un gros chandail de laine et je place une couverture sur mes jambes. Heureusement que nous sommes quand même pas mal à l’abri dans notre cockpit fermé.

Le lendemain matin, on a une allure vent arrière qui fait rouler le bateau d’un côté a l’autre. Avec la fatigue de la mauvaise nuit, c’est Daniel et moi qui avons un peu mal au coeur. Une vague nous fait taper du nez particulièrement fort, ce qui fait tomber mon café à la renverse, ainsi que la tisane miel et citron que je viens de préparer pour Achille. Aïe, ça brûle! Comme le vent est en dessous de 10 noeuds, les voiles sont molles et n’arrêtent pas de claquer. La grande voile balotte d’un côté à l’autre, ce qui n’est vraiment pas bon. Avec le souvenir de notre génois décousu lors de notre traversée vers Cape Cod, on ne tarde pas trop avant de faire les manœuvres pour affaler la grande voile, qui ne nous serre pas à grand chose de toute façon dans cette amure. Puis on s’attelle à mon sport préféré : mettre le tangon. (C’est une blague, je déteste ça.) Heureusement la mer n’est pas trop agitée et ça se passe plutôt bien même si on n’est plus habitués et qu’il a fallut se rappeler nos techniques. Le vent n’a pas bougé de la journée, on avance comme une tortue à 3,5 noeuds. Ce n’est pas très confortable comme amure, mais on a connu bien pire. Avec le changement d’heure, le soleil se couche beaucoup plus tôt. À 17h, on va enlever le tangon en prévision de la nuit. Ça nous fait toujours sacrer autant (il est vraiment difficile à raccrocher au mât), mais ce n’est plus aussi périlleux que nos premières fois. On passe devant Atlantic City à la tombée de la nuit, s’est assez impressionnant de voir la ville briller de mille feux au loin dans le noir.

La deuxième nuit en mer est plus facile, car justement on est tellement fatigués qu’on n’a pas de difficulté à dormir entre nos quarts. On récupère du sommeil. Finalement je retire ce que j’ai écrit, la deuxième nuit est interminable, je cogne des clous tout le long de mon quart. On va avoir du chemin à faire si on veut réaliser une traversée de l’Atlantique.

Pour notre troisième journée de navigation, on avance toujours à pas de tortue. Le vent a encore diminué. On n’y tient plus, on part le moteur. On a encore de longues heures devant nous avant d’arriver et la perspective de passer une troisième nuit en mer ne nous plaît guère. On a perdu du jalon depuis notre départ en juillet, il va falloir s’aguerrir un peu plus. Nous entrons dans la baie de Chesapeake à la noirceur, heureusement la voie navigable est bien balisée et éclairée. Sauf qu’il y a beaucoup de trafic maritime et c’est assez inquiétant de se retrouver au milieu de ces immenses cargo. Au moment de traverser un étroit passage entre deux ponts, on laisse passer un porte-containers de 365 m de long qui arrive en sens inverse avant de s’engager à notre tour. De l’autre côté, c’est un autre cargo tout aussi gros qui arrive sur nous. Il nous envoie un sonore coup de klaxon pour nous signaler qu’il va passer. On se tasse tout de suite, pas question de faire une collision avec ce mastodonte. Il ne ralentit pas sa vitesse d’un poil en nous dépassant, laissant de grosses vagues dans son sillon. Vite Daniel vire pour qu’on prenne les vagues de face et non de côté, on pique du nez et ça tape dans l’eau, mais c’est mieux que de se faire barouetter à droite et à gauche. Ça cogne tellement fort que j’ai vraiment peur que les enfants tombent de leur lit. Vite je me précipite à l’avant dans la cabine, mais ils n’ont pas bougé, ils dorment profondément et ne se sont rendus compte de rien. On finit par être capables de traverser la voie navigable et on se dirige vers la rive la plus proche. On veut s’ancrer quelque part pour la nuit avant d’aller se mettre à quai à la marina le lendemain. Il n’y a pas vraiment d’ancrage identifié dans les environs mais on se dit que pour une nuit, même si ça roule un peu, ça fera quand même du bien de dormir sans interruption. Il est 22h lorsqu’on jette l’ancre, on est épuisés et on s’endort aussitôt en posant la tête sur l’oreiller.

À 2h du matin, en plein milieu d’un rêve, j’entends le bruit d’une sirène. Je me réveille en sursaut. Est-ce que le bruit était dans mon rêve ou c’était réel? Un deuxième son de sirène me confirme que c’est bel et bien la réalité. Je me dépêche de sortir dans le cockpit et d’ouvrir une fenêtre de notre abri. Je vois les girophares d’un bateau patrouille qui s’approche de nous, lorsqu’il est à portée de voix, il me dit que nous sommes dans une zone militaire et il me demande ce qu’on fait là. Je lui explique qu’on navigue depuis 2 jours, qu’on était épuisés et qu’on a jeté l’ancre pour la nuit en attendant d’aller à la marina demain matin. Normalement, on n’a pas le droit d’être là, mais je demande la permission de passer la nuit et de quitter dès le lever du soleil, ce qu’on m’accorde gracieusement. Après la montée d’adrénaline de cette intervention, nous avons eu toutes les difficultés du monde à nous rendormir. D’autant plus que notre ancrage était vraiment désagréable, ça roulait de tous les côtés. On ne s’est pas fait prier pour partir dès les premières lueurs du jour, on n’avait pas envie de rester là plus longtemps! Dans la clarté retrouvée, on a pu voir le terrain d’entraînement qui se trouvait sur la plage devant nous. Évidemment, si on était arrivés de jour, on aurait tout de suite deviné qu’on était devant une base militaire… Après cette nuit mouvementée, dans tous les sens du terme, on est tranquillement allés se mettre à quai et on a beaucoup mieux dormi par la suite!

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Un rêve

Larguer les amarres… et revenir

C’est un départ