En route vers Puerto Rico

 

Nous quittons George Town sur l’île de Great Exuma avec une mer beaucoup plus calme que les jours précédents. Si tout va bien, on ne remet pas les pieds à terre dans les Bahamas. On est bien décidés à affronter les flots cette fois. Puerto Rico, on arrive!

Avec les vents dominants qui viennent de l’est, on ne se fait pas d’illusions, on naviguera à moteur presque tout le long. On a du diésel pour environ 4 jours et demi. La navigation en demande une de plus. Il faudra utiliser nos voiles le plus possibles pour ne pas manquer de carburant.

La mer est beaucoup moins grosse que les jours précédents. Ça aide à avancer! Même si on doit s’aider du moteur, on hisse les voiles dès qu’on a rejoint le large. On navigue avec le vent à 30 degrés, au plus serré que l’on peut. Ça nous dirige un peu plus vers le Nord que l’on voudrait, mais on avance bien et ça nous donnera un meilleur angle pour se diriger vers le sud-est ensuite. Il fait beau, il fait chaud, c’est beaucoup plus reposant que nos dernières navigations. Une première journée s’écoule tout doucement. On affale les voiles juste avant la tombée de la nuit, le vent est tombé et les voiles nous freinent. On en profite pour prendre un cap plein est qui nous ramène vers notre destination. Pour célébrer la nouvelle année, c’est repas de burgers et de salade de chou pour le souper! Comme il n’y a pas beaucoup de vagues, on peut même les faire cuire sur le BBQ dehors. 

C’est le retour des quarts de nuits. On en a pour plusieurs jours à se relayer, il faudra arriver à trouver un rythme de sommeil à travers les nuits entrecoupées. Ça paraît un équipier de moins, mais à trois on se lève quand même juste une fois chacun. Lorsque je prends mon quart à minuit, nous venons de passer l’île San Salvador que l’on avait désespérément essayé d’atteindre dans les derniers jours. Je verrai ses lueurs au loin pendant plusieurs heures. Après, plus rien. Il n’y aura pas de terre en vue avant de nombreux jours.

 

La traversée se poursuit tranquillement pour une deuxième journée. Malgré une nuit entrecoupée, je me réveille en forme, beaucoup moins fatiguée que lors de nos navigations précédentes où l’on n’était que deux pour se relayer. Reste à voir comment se sera dans les prochains jours, il reste encore 3-4 nuits à passer. C’est la mer d’huile, pratiquement pas de vent. On continue à moteur. On a toujours un petit stress pour le carburant, surtout qu’on n’a pas vraiment d’options pour s’arrêter faire le plein sur notre route. On occupe la journée comme on peut : je recouds une bordure de notre dodger, on joue à des jeux de société, je lis des histoires aux enfants, Daniel huile le gouvernail… les gars commencent à trouver le temps long, il va falloir trouver d’autres occupations pour meubler les journées. Le soleil tape fort dans le cockpit, il fait chaud! On se tient du côté à l’ombre. Toutes les écoutilles sont ouvertes dans le bateau (on peut se le permettre vu que la mer est tranquille). Heureusement, il y a une toute petite brise qui nous apporte une touche de fraîcheur. Les lunettes de Daniel tombent à l’eau alors que nous traversons une zone de profondeur d’environ 5000 mètres, selon le GPS. On rigole beaucoup en s’imaginant combien de temps elles vont prendre à toucher le fond…

 

Deuxième quart de nuit. Rien à signaler. Un navire passe au loin, je ne vois que sa lumière qui se déplace. Le cockpit est tout ouvert, la nuit est fraîche. J’ai troqué mon short pour un pantalon et j’ai ajouté un manche longue. Rien à voir avec nos navigations de l’automne avec nos manteaux d’hiver. Et après la chaleur torride de la journée, je ne vais pas me plaindre de cette baisse de température. Le vent remonte tranquillement et a un bel angle de 60 degrés, ça sent le retour des voiles au lever du soleil. Dès les premières lueurs du jour, j’ouvre le génois à la moitié. Comme je suis seule à faire les manœuvres (tout le monde dort), je préfère rester prudente et ne pas en ouvrir trop, je ne voudrais pas avoir à réveiller Daniel pour m’aider à le rentrer. Il se lève d’ailleurs juste un peu plus tard et on s’attelle à monter la grande voile. On déroule ensuite le génois au complet, c’est parti! On file sur l’eau. La fatigue s’installant peu à peu, on est plus irritables et impatients. Les enfants eux sont plus bruyants et turbulents. Ils commencent à s’ennuyer. Malgré tout, ils arrivent à bien s’occuper dans la journée. Avec ce bon vent, il fait moins chaud que la veille, ça fait du bien. Même si on fait de la belle vitesse, c’est un peu long. Le GPS indique qu’il nous reste 3 jours, mais… c’est ce qu’il disait hier aussi! C’est un peu décourageant, c’est comme si on n’avançait pas (et pourtant on sait qu’on a fait du chemin!) On a deux petits stress : une dépression qui arrive du Nord le dimanche soir (on veut donc arriver avant) et notre niveau de diésel, qui est très juste. On ne veut pas en manquer! Il faut utiliser le moteur avec parcimonie. À travers tout ça, le moral des troupes reste bon, c’est l’essentiel.

 

Troisième nuit de quart. Ça devient officiellement notre plus longue navigation à ce jour. Ça gîte beaucoup, je ne dors pas très bien dans mon lit, situé du mauvais côté. Je dors en pente et je suis toujours en train de me tenir pour ne pas tomber. Se lever pour aller faire mon tour de veille est un peu difficile. Mais je ne dormais pas vraiment de toute façon, alors hop! Finalement je me repose mieux dans le cockpit, blottie dans un coin du banc de capitaine, à faire mes tours d’horizon à toutes les 15 minutes. Pendant la nuit, le vent diminue un peu, Daniel m’aide à ouvrir le génois au complet. On pourrait aussi enlever les deux ris dans la grande voile pour gagner de la vitesse, mais on essaie d’éviter les manœuvres sur le pont pendant la nuit. On agrandira la grande voile quand il fera jour. Lorsque je retourne me coucher à 5h du matin, je vais m’installer dans la cabine des gars à l’avant et je me glisse à côté d’Ulysse dans son lit. Là au moins ça gîte du bon côté et je ne risque pas de tomber! 

 

Lorsque nos petits mousses se réveillent à 7h, je suis complètement KO. Incapable de me tirer du lit! Ils vont rejoindre Daniel dans le cockpit et je peux récupérer encore un peu de sommeil. Lorsque que je me lève, j’envoie Daniel se reposer à son tour. On essaie de récupérer comme on peut pendant la journée, il reste 2 nuits encore devant nous. Toutes voiles dehors avec un bon vent stable de 12-14 nœuds venant du Nord-Est, on avance à 6 nœuds malgré un courant de face qui ne nous lâche pas depuis le départ. Notre temps estimé d’arrivée est enfin tombé en bas de 2 jours! On avance en ligne droite directement sur notre destination et on estime qu’on sera à Puerto Rico dimanche dans la journée si on continue à cette allure. On croise les doigts pour que le vent ne nous lâche pas. On gîte quand même beaucoup, c’est pas mal moins évident de faire la cuisine. J’ai pu expérimenter que ma soupe ramen maison, pourtant simple à réaliser, n’était pas la meilleure option de repas dans ces conditions. La casserole, malgré les supports pour la tenir en place, n’arrêtait pas de vouloir renverser son contenu… manger sans s’échapper du bouillon dessus était aussi un autre défi. Heureusement que c’était délicieux! Occasion spéciale dans l’après-midi, les gars écoutent un film. Ils font tellement bien ça depuis qu’on est partis (bon des fois ils trouvent ça long, mais nous aussi, alors on ne peut pas les blâmer…), alors on se dit qu’ils ont droit à une petite récompense pour aider à passer le temps.

Quatrième nuit de veille. Habituellement, dès la deuxième nuit en mer, la fatigue fait en sorte qu’on se rendort facilement entre les quarts. Pourtant cette fois j’ai vraiment du mal à trouver le sommeil. Lorsque je prends mon quart, le vent est tombé (zut), il nous vient maintenant presque de face et on se bat contre un fort courant. On rallume le moteur et on voit notre temps d’arrivée repoussé à 2 jours… instant de découragement… mieux vaut ne pas regarder. Je mets une alarme à toutes les 15 minutes pour faire mon tour d’horizon. (Rien à déclarer) Je ferme les yeux entre chaque veille pour grappiller un peu de repos. Lorsque je retourne me coucher à 4h du matin, cette fois je m’écroule dans mon lit et je m’endors comme une bûche.

 

Jour 5. Le réveil est pénible. Pourtant, les enfants ont fait la « grasse matinée » jusqu’à 7h30. Ça me prend presque deux heures, et deux petits cafés, pour chasser ma mauvaise humeur. Le vent reste timide tout l’avant-midi, mais il a repris un bon angle et on avance beaucoup plus rapidement. On revient à un temps d’arrivée beaucoup plus acceptable, dans la journée de dimanche. On zigzague un peu pour éviter les zones de grain que l’on aperçoit à l’horizon. En début d’après-midi, sans crier gare, un grain nous tombe dessus comme sorti de nulle part. En une minute, le vent est passé de 12 à 25 nœuds. On n’a pas le temps de réagir et de rentrer un peu les voiles. On est survoilés et le bateau gîte dangereusement. Je vais devoir m’excuser pour toutes les fois où j’ai dit qu’on gîtait à 45 degrés, car nous y étions bien loin (ce serait plus autour de 25 à 30 degrés). Là j’ai véritablement connu ce que c’est être gité à 45 degrés et ça n’a rien à voir. Nous étions tellement penchés que notre pont tribord entrait sous l’eau. Un peu épeurant quand même. Nous n’étions pas en danger de chavirer, mais gîter autant est dur pour le bateau et peut entraîner un bris important. Il faudrait prendre un ris dans la grande voile et réduire le génois, mais dans ces conditions c’est trop dangereux. Daniel prend la barre et nous ramène davantage dans le vent pour amoindrir la gîte. Ouf, c’est un peu plus calme. 5 minutes plus tard, le grain est passé et c’est terminé. Pour ne pas se faire prendre à nouveau, dès qu’on a retrouvé une allure normale, on prend un ris dans la grande voile et on rentre un peu le génois. Le vent commence à se lever vers 15h. On file à vive allure sur l’eau. En prévision de la nuit, où on annonce de forts vents à 25 nœuds, on prend un deuxième ris dans la grande voile et on rentre encore un peu de génois avant le coucher du soleil. J’ai encore une fois la mauvaise idée de cuisiner une omelette pour le souper. Avec la gîte, tous les œufs se retrouvent du même côté de la poêle… ce sera donc des œufs brouillés pour cette fois. En soirée, les gars sont insupportables. Il est grand temps qu’on arrive pour tout le monde! Si tout va bien on sera à San Juan dans l’avant-midi. C’est notre dernière nuit à bord pour cette traversée, mais elle s’annonce longue. Avant même de prendre mon quart à 20h, on doit rentrer la trinquette car les rafales dépassent les 25 nœuds prévus. Daniel dormira dans le cockpit cette nuit pour aider à rentrer le génois au besoin si le vent devient trop fort. C’est moi qui fais le premier tour de veille cette fois, ça me permettra de dormir le reste de la nuit ensuite, au lieu d’avoir une nuit entrecoupée. Il risque d’y avoir beaucoup plus d’actions ce soir, car nous approchons tranquillement de la côte et on commence à croiser de plus en plus de bateaux. Finalement le vent est pas mal stable autour de 20-22 nœuds, on a déjà vu bien pire. Mais les vagues augmentent avec ce bon vent, ce qui rend la nuit quand même sportive. La barre à roue a besoin d’être huilée et fait un grincement épouvantable qui me frise les oreilles à chaque fois, c’est-à-dire toutes les 5 secondes. Il va falloir la démonter pour un entretien complet en arrivant, pas question de repartir avec ce bruit-là. Heureusement, le bruit finira par s’espacer pendant la nuit. Lorsque je vais me coucher à la fin de mon quart, je suis dans la même position qu’hier, penchée sur le (mauvais) côté et toujours sur le point de tomber du lit. Je réussis à me trouver une position en diagonale où mes pieds peuvent s’appuyer sur le mur en bas, tout en m’accrochant avec une main sur le rebord du côté opposé. Pas très confortable. Pour ne rien aider, le vent augmente à 25-27 nœuds pendant la nuit, nous faisant gîter encore plus. J’arrive à dormir un peu, mais évidemment je me fais toujours réveiller par une vague plus forte qu’une autre. À vrai dire, personne ne dort bien cette nuit-là. 

 

Journée de navigation mouvementée

 

On n’est donc pas dans notre plus grande forme pour affronter notre dernière journée de navigation, qui s’annonce tout aussi mouvementée que la nuit. La mer est grosse, avec des vagues de 4 mètres. Le vent est toujours à 20-25 nœuds. On traverse successivement plusieurs petits grains. Pour nous encourager, on voit la terre qui se profile au loin dans la grisaille des nuages et de la pluie. Les hautes montagnes luxuriantes de Puerto Rico se dévoilent devant nous. Notre heure estimée d’arrivée est toujours avant-midi. Dans ces conditions de mer, il n’y a pas grand-chose d’autre à faire que d’attendre que ça passe. La vaisselle s’accumule dans l’évier, mais elle attendra jusqu’à notre arrivée. Les enfants s’ennuient, lorsque ça brasse autant, on ne peut pas sortir de jeux, ni lire (ça donne mal au cœur). Ils sont pris dans le cockpit à regarder un paysage qui n’avance pas assez vite à leur goût. Ulysse nous fait une crise. Il ne veut plus jamais faire de traversée! Et puis à force que le temps s’écoule, on y arrive enfin : on entre dans le canal San Antonio pour rejoindre la baie de San Juan. Le vent diminue progressivement. On voit les bâtiments historiques du vieux San Juan à notre tribord. On a réussi à avoir une place à quai à Bay Marina et à 11h00, on s’amarre au quai comme des pros. Oh la douce sensation de poser le pied à terre! On fait descendre les enfants sur le quai pour se dégourdir les jambes pendant qu’on termine d’amarrer le bateau. Ensuite il faut tout le monde remonter à bord le temps de dédouaner. Normalement, cela se fait assez facilement et rapidement avec la même application que l’on a utilisée lorsqu’on est entrés aux États-Unis, mais cette fois le site web ne fonctionne pas. Après de nombreuses tentatives et après avoir essayé d’appeler plusieurs fois pour avoir du soutien (sans résultat, on est dimanche…), Daniel se rend au bureau de la marina pour obtenir leur aide et savoir quoi faire. Ils appellent le bureau des douanes pour qu’ils passent au bateau faire les formalités d’entrée en personne. On nous le répète : personne n’a le droit de descendre à terre jusqu’à ce que les procédures de dédouanement soient complétées. Le temps est long lorsque ça fait 5 jours qu’on est en mer! Surtout quand on rêve tous d’une bonne douche… on en profite pour passer à travers la montagne de vaisselle sale.

 

Les douaniers arrivent environ 30 minutes plus tard. Ils sont très sympathiques, vérifient nos passeports et les papiers du bateau, c’est beaucoup plus agréable d’échanger avec des gens que de tout faire en ligne! 20 minutes plus tard, tout est réglé, allez hop, tout le monde à la douche! Comme il n’y en a qu’une, on y va à tour de rôle, c’est un peu long. Je m’attaque à notre montagne de lavage, on n’en a pas fait depuis notre départ de la Floride, il y a plus de 2 semaines. Il est déjà tard lorsque tout le monde est propre. Notre sortie de la journée sera d’aller à l’épicerie nous chercher de quoi préparer un bon souper. Le supermarché n’est pas loin, mais on a un peu de mal à trouver notre chemin à travers le dédale de ponts et d’embranchements. Sans doute inspirés par l’ambiance latine de la ville, ce sera des tacos al Pastor (porc et ananas) au menu. Après les derniers jours aux repas un peu plus maigres, c’est un véritable festin!

5 jours en mer. Notre première grande traversée. Pas celle de l’Atlantique que l’on souhaitait faire, mais presque. Nous avons parcouru 760 miles nautiques sur l’eau, c’est plus de la moitié de la distance pour aller aux Açores! Avec du recul, même si on était bien contents d’arriver, même si les enfants commençaient à trouver ça dur, on a réalisé qu’on aurait pu continuer pendant des jours. On était bien fiers de cette première traversée en haute mer. Oui, on est capables et on est enfin arrivés dans les Caraïbes!

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